La fumée comme accessoire
La fumée comme accessoire
Rien, à mon avis, n'est plus joli et ne fait plus d'effet dans un tableau qu'un vaisseau voguant à pleines voiles ; et, si l'on en juge par les tableaux exposés dans nos galeries artistiques, on verra que la même idée a inspiré les meilleurs de nos peintres de marines. Mais quoi qu'il en soit, le sale, fumeux et noir steamer ne doit pas être dédaigné du photographe, au contraire; et, bien que cela semble paradoxal, plus le steamer crache de fumée, meilleur en sera le résultat en photographie.
Pour mon compte personnel, j'ai pris de nombreux clichés de navires, les uns rentrant dans le port, les autres en sortant. Je recherchais surtout les navires à voiles gonflées, mais, dans certaines circonstances, je ne pouvais cependant guère m'empêcher de prendre un steamer.
Un jour, je pris dans un cliché un bateau remorqueur ; j'étais en très bons termes avec son capitaine, qui me demanda une épreuve. Je fus, à regret, obligé de lui dire que ce n'était pas réussi : rien n'indiquait l'idée de mouvement. Je lui dis aussi que je ne reprendrais jamais son paquebot dans un cliché à moins qu'il ne rechargeât son feu au moment psychologique. Il me promit de le faire et tint parole ; grâce à sa complaisance je pus obtenir des épreuves qui, sans la fumée, auraient été banales. Beaucoup de choses pourraient être dites au sujet des deux photographies qui accompagnent cet article, mais on ne peut s'empêcher de remarquer combien la première, malgré les qualités qu'elle présente au point de vue purement photographique, est loin de donner l'impression de vie qui caractérise la seconde. Et cependant il faut constater que toutes deux ont été prises à peu près dans les mêmes conditions atmosphériques, que toutes deux présentent un ciel et des nuages et que les deux navires ont été photographiés par un calme plat et dans la même position par rapport a l'horizon.
J.Bompas, La fumée comme accessoire, Photo-Magazine, pag. 103, Paris 1910 (Adapté du Photographie News)